Publié au Figaro le 19 avril 2013.
Au moment où Dany Cohn-Bendit annonce son retrait de la vie politique, l’histoire ne se répète pas, mais elle s’inverse. 68 est le fruit de la société de consommation, bien que le mouvement semblait s’y opposer. 2013 est le fruit de la crise qui révèle un besoin de famille, de cohésion et de groupe.
En mars 1968, un mouvement sociétal se dessine à Nanterre et prend une ampleur inattendue. Un slogan : « Jouir sans entrave ». Dès le 13 mai, un mouvement social de grande envergure se joint au mouvement sociétal sous la forme d’une grande grève générale. Mouvements étudiants et ouvriers se rejoignent malgré souvent de vraies divergences de vue entre libertaires et marxistes. Le Gouvernement de Georges Pompidou engage les négociations de Grenelle qui sont rejetées par la base le 27 mai. Après un moment de flottement, le général de Gaulle dissout l’Assemblée nationale et provoque des élections législatives pour le 30 juin. Les Français éliront alors une chambre avec une majorité gaulliste écrasante.
13 janvier 2013, le projet de mariage homosexuel provoque une manifestation massive dans les rues de Paris. Un mouvement sociétal de grande ampleur nait sur le thème des valeurs de la famille et de la protection de l’enfant. Il prend de l’ampleur le 24 mars et se poursuit par des « happenings » multiples à travers la France. Tout cela intervient dans un contexte économique à bien des égards dramatique, en particulier pour les jeunes. Bâillonné par le Gouvernement, la « manif pour tous » lance une grande mobilisation dont le point d’orgue sera en mai.
Au fond, de nombreux points communs nous sautent aux yeux :
Une forte demande de jeunes : cette demande est celle des mêmes catégories sociales qu’en 1968 - les étudiants – avec les mêmes innovations qu’en 1968 dans la façon de revendiquer. 68 rompait avec l’action ouvrière classique, 2013 rompt avec les manifestations « à la papa ». Les jeunes d’aujourd’hui sont là où on ne les attendait pas. Cette génération a le sentiment que le monde de la production la laisse à la porte. A l’époque de 68, les jeunes tapaient à la porte du pouvoir, ils tapent aujourd’hui à la porte de l’intégration par le travail qui leur est refusé.
Un décalage entre la société et les partis politiques, quels qu’ils soient. Des partis politiques qui n’ont pas pris en compte les besoins profonds de la société française ; besoins eux-mêmes en opposition avec l’esprit de 68.
Un Parlement qui aurait dû être le lieu du débat social si on ne le lui avait pas interdit.
Le sentiment de vivre la fin d’un cycle qui n’est autre que celui qui a commencé en 68.
Là s’arrêtent sans doute les similitudes car il existe de nombreuses différences de contexte entre 1968 et 2013.
- La crise économique sans précédent dont le Gouvernement ne veut pas prendre en compte l’ampleur. Il attend que les beaux jours reviennent et fait le « dos rond ».
- Des besoins sociaux en opposition avec l’esprit de 68 : une demande de famille, une demande de travail, une demande d’intégration dans la société. Le besoin de famille comme l’institution qui tient le mieux, tant bien que mal, face à la crise ; le besoin de communauté face à la dictature de l’individualisme et de la consommation hédoniste ; le besoin de cohérence et de cohésion sociale ; le besoin de valeurs morales partagées…
Les temps que nous vivons sont plus faits de peur que d’espoir, ce qui n’était pas le cas en 1968.
S’il est un seul slogan qu’il faudrait retenir des événements de mai, ce serait : « l’imagination au pouvoir ». Pas une imagination idéologique comme le mariage homosexuel. Une imagination réaliste qui s’oppose à la dictature post-moderne de l’individualisme mais une imagination qui sait que la personne humaine ne se construit pas toute seule mais en relation avec les autres, c’est-à-dire dans la communauté : cette communauté qui n’est pas décrétée ou administrée, mais cette communauté que la nature a institué avec en premier lieu, la famille, l’entreprise, la commune, la Nation.
Faute de débat dans l’enceinte du Parlement, la confrontation sur le mariage homosexuel va se dérouler, hélas, dans la rue. Faute de vérité dite au Français sur le monde qui nous entoure et sur la place qui est peut être celle de la France dans ce nouveau monde, les Français ne savent plus où ils vont. Tout est réuni pour que nous vivions un mai 1968 à l’envers…